La Fantaisie, le Pari(s) botanique
- Stéphanie Thiriet
- 7 août
- 5 min de lecture
Maximaliste, tout en mixant avec brio de multiples influences, le designer et décorateur Martin Brudnizki met sa créativité au service d’un hôtel 5 étoiles en plein cœur de Paris. Dans une capitale ultra-urbaine en mal d’espaces verts, il imagine un havre de paix pop aux références florales et végétales. Du spa avec ses mosaïques fleuries au restaurant aux émulsions végétales, visite commentée de ce lieu de rencontre.

Paris a aujourd’hui ses jardins, comme elle en avait hier, et ses hôtels ; et parfois les deux se confondent un peu. En entrant à La Fantaisie, le visiteur, voyageur ou parisien, se retrouve dans un univers végétal aux mille nuances qui lui offrent une parenthèse bucolique sur mesure. Emmené par la famille Kampf, le groupe français Leitmotiv développe des hôtels ancrés dans un esprit “luxe décontracté”, destinés aux voyageurs comme aux habitants du quartier d’implantation. Après avoir investi Rome et Megève, il confie aux architectes Cédric Petitdidier et Vincent Prioux la mission de revisiter un vieil hôtel datant de la fin du XXe siècle, au style néo-classique dépassé et aux proportions disharmonieuses, mais dont la structure saine permet d’opter pour une réhabilitation à partir de l’existant.
Nous sommes au 24, rue Cadet. Semi-piétonne et vivante avec ses commerces, la rue Cadet est à l’image du 9e arrondissement : vivifiée par Les Grands Boulevards, la gare Saint-Lazare un peu plus loin, Montmartre à proximité. Au même endroit, au XVIe siècle, Jean et Jacques Cadet, jardiniers du roi Charles IX, entretenaient dans un clos à leur nom des fleurs, végétaux et légumes. Ce passé maraîcher a guidé toute la remise au goût du jour de l'hôtel : l'architecture, la décoration, l'intérieur, les extérieurs. Il présente désormais une façade en acier et en zinc prépartiné gris-vert, plié ou nervuré, hommage aux toits parisiens et évocation des serres maraichères. "La façade est redéfinie et réalignée par rapport à l'axe de la rue, pensée comme un grand filtre, clair et élégant, faisant office de signature urbaine", défendent les architectes. L'idée est de créer un dialogue entre la ville et l'hôtel.
Une fois la porte poussée, le bouillonnement de la capitale semble pourtant lointain. Martin Brudnizski et son studio de décoration d'intérieur ont fait du lieu un écrin confortable, respectant la volonté initiée au début du projet par Leitmotiv : "se sentir comme à la maison". Le Suédois, oscillant aujourd'hui entre Londres et New York, est reconnu pour ses nombreuses adresses, hôtels et restaurants, mêlant l'opulence et le fantasque, toujours avec une hétérogénéité savamment équilibrée. Concernant La Fantaisie, le designer explique que, dans une volonté de "traduire le végétal", il a utilisé des matériaux organiques - cannage, bois, rotin -, des détails suggestifs (des papiers peints sur mesure de chez Cole & Son ou Pierre Frey), des lustres et appliques en forme de fleurs et des motifs jardiniers. Tous ces éléments s'intègrent ça et là pour inviter la flore sans frôler l'excès, livrant un secret d'équilibre visuel : "Je ne mélange jamais un imprimé fleuri avec un autre imprimé fleuri. J'alterne entre des motifs romantiques et d'autres plus géométriques".
LA TABLE
À l'entrée de La Fantaisie, différentes options s'offrent à nous. À droite : se lover dans un canapé sous une peinture de l'artiste Zahra Holm et un plafond orné du tissu Verdure Daville, créé par le tisserand parisien Jules Pansu, telle une plongée dans une canopée épaisse aux tons bleutés. À gauche : prendre un cappuccino et grignoter dans un café-bar aux allures de bateau chic avec son comptoir flaqué d'un métal bleu. Le papier peint mural montre des orangers dont les fleurs embaumeraient presque la pièce. Point d'orgue du rez-de-chaussée ; baigné dans un jaune citron vif, un vaste restaurant s'ouvre par une véranda victorienne sur un petit jardin dont l'aménagement paysager a été réfléchi par l'agence Christophe Gautrand & associés. Au milieu de la salle trônent un olivier, des vruyères et des cactus en pot. Les murs se parent de reproductions de planches botaniques illustrées, et les tables en bois côtoient des chaises de jardin rehaussées de coussins. L'atmosphère est solaire, le nom du restaurant, Golden Poppy, fait référence au pavot de la côte ouest américaine, fleur aux reflets orangés et pour causse : la carte a été élaborée par Dominique Crenn, cheffe autodidacte à la tête de l'Atelier Crenn à San Francisco (3 étoiles). Dans sa première adresse parisienne donc, elle s'inspire de la Californie, livrant des assiettes de saison, végétariennes ou pescétariennes. Au menu par exemple : des tartelettes de navets Picadillo, des pickles d'oignons rouges, des amandes grillées ou une crème de noisettes caramélisées.
LA DÉTENTE
Depuis le rez-de-chaussée, emprunter l'ascenseur. Dans celui-ci, on entend (littéralement) les oiseaux, ou parfois des poèmes récités. Au sous-sol, un espace détente accueille des salles de massage feutrées, entre jaune doux et zelliges bleux. Le spa suit les rituels anciens : bain d'eau salée, froide et chaude, puis sauna et hammam. Tout au long des bassins, une mosaïque de fleurs vertes : "d"licate, elle confère une ambiance sereine et un arrière-plan à la zone de soins, tout en reflétant subtilement le thème botanique", évoque Martin Brudnizki qui l'a conçue avec ses équipes. La flânerie se poursuit dans les étages. Les 73 chambres (versus 85 dans l’hôtel précédent) dont 10 suites se font plus sobres afin de favoriser le repos. Au sol, des parquets et tapis pastel ; au mur, des papiers peints texturés aux tons beiges et brun clair qui accueillent des peintures : les abstractions de Molly van Amerongen, les vases de Julianna Chioma, les reproductions végétales de Carmen Bouyer, les fruits de Julianna Byrne, les fleurs aquarellées de Lisa Hardy, les natures mortes de Laura Gee... Les couleurs phares de l’hôtel – vert, jaune et corail – déclinent leurs nuances par touches et à travers le mobilier, dessiné pour une partie par And Objects, la marque de Martin Brudnizki et Nicholas Jeanes, ou provisionné par des éditeurs français (Popus par exemple), façonné par des entreprises et artisans français, anglais et italiens... Les lits sont faits avec des draps en soie de coton Garnier-Thiebaut, qui fournit aussi le linge de bain et de table. Dans les salles de bain, du carrelage blanc, des marbres, du vert, du bois, des baignoires îlots et une robinetterie en laiton doré. Et pour les balcons et terrasses : des salons d’extérieur et évidemment... des plantes !

LE BAR
Repasser par les couloirs, mettre le cap sur le 7e étage et découvrir un bar. Boudoit anglais, serre botanique ou adresse new-yorkaise dans années folles ? Les lampes Art déco posées sur un comptoir marbré et les sièges pourprés se fondent dans un écrin de roses pensé en collaboration avec le studio Adam Ellis : le motif "La Vie En Rose(s)" tapisse l'ensemble, les murs, le plafond rembourré de panneaux acoutstiques et des rideaux en lin fin. "Cela crée l'illusion d'une roseraie verdoyante qui existe depuis toujours (...) La façon dont le plafond floral se déplace vous donne l'impression d'être dans un jardin sauvage, mais l'introduction des rayures permet d'éviter une sensation chintzy (tape-à l'œil, ndlr). Les rayures travaillent de pair avec les fleurs et procurent une sensation d'équilibre et de fraîcheur", explique Martin Brudnizki. À la carte : des cocktails et des assiettes à partager, savamment réfléchies par Dominique Crenn. Plus qu') faire quelques pas vers la terrasse, mini jardin d'éden planté de vinges et petits arbres fruitiers, pour trinquer. Au-dessus des tots de la capitale et sous les étoiles, à la vie, à la fantaisie ! •
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@lafantaisieparis
24 rue Cadet
75009 Paris
Reportage extrait de Fine Fleur N°04 - Le Lilas

© Photographies La Fantaisie
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