Le Jardin Majorelle, oasis végétale d'Yves Saint Laurent et Pierre Bergé
- Johanna Witz
- 15 mai
- 6 min de lecture

Jardin aussi verdoyant que bleuté, le Jardin Majorelle, du nom du peintre qui lui a offert sa couleur signature, a conquis le couple Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, qui n’a pu se résoudre à laisser le jardin marocain à l’abandon après la mort de son propriétaire. Découverte d’un éden coloré de cactus et de palmiers où a su fleurir l’inspiration du créateur de mode.
Alors qu’il souffre de la tuberculose, le jeune peintre français Jacques Majorelle va chercher le soleil marocain pour apaiser les symptômes de sa maladie. Une fois établi à Marrakech, où le peintre orientaliste trouve les sujets de ses futures toiles, il achète un terrain situé dans la palmeraie, aux abords de la médina. Ici, le jeune homme se met à jardiner, à planter et à rapporter des espèces botaniques de ses voyages pour les ajouter à sa collection. L’artiste crée une œuvre vivante avec le jardin qui entoure son atelier. En effet, on trouve dans le Jardin Majorelle un unique, mais immanquable, bâtiment. Il s’agit de l’ancienne demeure de Jacques Majorelle et de son épouse Andrée ; le rez-de-chaussée constituait l’atelier du peintre. Ce bâtiment mauresque au style Art déco, dont le père de Jacques Majorelle était l’un des fondateurs, a été entièrement peint d’un bleu intense et profond. Il s’agit du “bleu Majorelle”, créé dans les années 1930 par l’artiste, inspiré des eaux de l’Atlas qu’il a pu observer lors d’un voyage dans le sud du pays, et dont il relate l’histoire dans son journal publié sous le titre de Carnet de route d’un peintre dans l’Atlas et l’Anti-Atlas. Jacques Majorelle achète son terrain de 9000 m2 en 1924 et y fait construire sa demeure par le cabinet d’architectes Robert Poisson et Paul Sinoir. À la même période, il est missionné pour peindre le plafond du luxueux hôtel de la Mamounia, également célèbre à Marrakech. Ce n’est qu’en 1934 qu’il fait peindre la bâtisse de son bleu reconnaissable entre mille, dont les pots de peinture sont aujourd’hui vendus à la boutique du jardin.

UNE ŒUVRE VÉGÉTALE
Pour son jardin aussi, Jacques Majorelle a dû être patient. Il crée cet espace de végétation en quarante années de jardinage, alliant diverses espèces de palmiers, de bananiers, de bougainvilliers, d’orangers, de cactus et de plantes grasses. Il organise la visite du jardin par l’aménagement de sentiers et par la création d’espaces aquatiques avec divers bassins et fontaines qui apportent un peu de mouvement et de sons à cette oasis marocaine. À l’aube des années 1950, Jacques Majorelle décide d’ouvrir son jardin au public, afin de reverser les dons de ses visiteurs, encore peu nombreux, à des associations locales. Il en fut ainsi jusqu’à la mort de l’artiste, rapatrié à Paris, au début des années 1960. Le jardin est alors lais- sé à l’abandon, en friche. En 1966, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé visitent pour la première fois Marrakech.
Ils ne manquent pas de découvrir le jardin du peintre Majorelle et, bien que dans un mauvais état, tombent sous son charme. C’est en 1980, alors que le jardin est menacé d’être racheté puis détruit par un complexe hôtelier, que le couple décide d’acquérir les lieux avec l’ambition de “faire du Jardin Majorelle le plus beau jardin, celui que Jacques Majorelle avait pensé, envisagé”.
Yves Saint Laurent et Pierre Bergé prennent alors résidence dans l’ancienne demeure du peintre, rebaptisée “Villa Oasis”. Ils entreprennent, par l’intermédiaire de jardiniers, d’importants travaux dans le jardin afin de le restaurer, enrichissant la collection de végétaux originaires du Brésil, d’Argentine, de Madagascar, de Chine, d’Afrique du Nord ou d’Amérique du Sud déjà existants. Ensemble, le couple continue de faire vivre le jardin et la vision de Jacques Majorelle, perpétuant les dons aux œuvres caritatives, sociales et culturelles. Pendant des années, ils vivent autour du jardin, vive source d’inspiration pour Yves Saint Laurent. Ses créations, plus colorées, s’en ressentent : “Depuis de nombreuses années, je trouve dans le Jardin Majorelle une source inépuisable d’inspiration et j’ai souvent rêvé à ses couleurs qui sont uniques”, disait le couturier.
UN LIEU DE MÉMOIRE
Pour l’ingénieur Pierre Bergé aussi, le jardin prend une place importante, comme en témoigne cet extrait de son ouvrage Yves Saint Laurent, Une passion marocaine : “Très vite nous devînmes familiers de ce jardin, il n’était guère de jours sans que nous nous y rendions. Il était ouvert au public mais il n’y avait presque personne. Nous fûmes séduits par cette oasis où les couleurs de Matisse se mêlent à celles de la nature. [...] Aussi, quand nous avons appris que ce jardin allait être vendu et remplacé par un hôtel, nous fîmes l’impossible pour arrêter ce projet. C’est ainsi qu’un jour nous devînmes propriétaires du jardin et de la villa. Au cours des années, nous avons redonné vie au jardin”.
À la mort du couturier, Pierre Bergé fait don du Jardin Majorelle à la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent. La Fondation Jardin Majorelle naît, et un mémorial est érigé au cœur du jardin, sous la forme d’une colonne s’élevant d’un bloc de pierre rose entouré de quatre pots garnis de végétation où sont aujourd’hui gravés les noms et dates des deux amants. Avant de partir, Pierre Bergé crée, là où l’on trouvait auparavant l’atelier de Jacques Majorelle, un musée des arts berbères, inauguré en décembre 2011 par le ministre français de la Culture, Frédéric Mitterrand.
Des pièces traditionnelles des modes de vie de la région, ainsi que des bijoux et des tenues haute couture issues de la collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé y sont ex- posés. On y trouve aussi bien des joyaux de couture que des objets d’un temps lointain, comme une théière d’argent accompagnée de sa boîte de transport en bois ainsi que de son marteau à sucre. En octobre 2017, c’est le musée Yves Saint Laurent qui ouvrira ses portes et deviendra le nouveau voisin du jardin. Le jardin deviendra un lieu touristique majeur de Marrakech, et s’enrichira d’un café, d’une librairie ainsi que d’une boutique, destinés à ses visiteurs.
Gauche : © Fine Fleur Magazine
UN JARDIN BIEN GARDÉ
Aujourd’hui, une visite dans le Jardin Majorelle ressemble à ceci : une déambulation sur un petit chemin rouge bien gardé par du personnel de sécurité veillant à orienter les touristes, quitte à faire perdre un peu de sa spontanéité à la promenade des visiteurs. Tout autour de ce sentier balisé, une végétation de palmiers, d’avocatiers, de cactus et de plantes grasses diverses, entourés non pas de terre, mais de petits graviers roses. Le jardin est scrupuleusement entretenu, et partout, on peut voir des jardiniers occupés à ratisser les graviers ou encore à repeindre une porte d’une nouvelle couche fraîche de peinture. Le long des chemins bordés de garde-fous en bambou, des pots en terre cuite ont été peints dans des couleurs primaires franches : du bleu (le fameux bleu Majorelle, bien sûr), mais aussi du jaune et de l’orange. Seule note d’imprévu mesuré dans le jardin : la présence de quelques animaux aquatiques. Dans un bassin, on trouve trois grosses karpes koï, dans un autre, visible depuis un pont bleu abrité de bougainvilliers et décoré de luminaires marocains en métal et verre colo- ré, des tortues d’eau se prélassent aux côtés de grosses grenouilles vertes perdues au milieu des nénuphars. Dans les airs, on croise également quelques oiseaux noirs à ventre gris, sans doute des fauvettes mélanocéphales.

LE MONDE ENTIER EST UN CACTUS
En somme, il y a très peu de fleurs ou de couleurs dans le Jardin Majorelle : la majorité est au vert. Quelques petites touches de bleu, de jaune ou de rouge créent des taches colorées, à la manière d’un motif sur la trame verte d’un tissu. Une touche extravagante et très couture lorsque l’on croise le chemin d’un oiseau du paradis à côté d’un agave ou d’un dattier. À la fin de notre promenade, au niveau de la “galerie Love”, des cartes de vœux sont mises à l’honneur : réalisées chaque année par Yves Saint Laurent, le couturier les utilisait pour sa correspondance avec ses amis et clients de haute couture. Sur un présentoir en forme de pyramide, sont exposées les diverses espèces de végétaux croisées dans le Jardin ; on peut y découvrir leur nom scientifique et accéder à des informations complémentaires via des QR codes. Néanmoins, cela mis à part, votre visite du Jardin, si elle n’est pas accompagnée d’un guide, restera pleine de mystères. Les seuls indices laissés au public sont les noms des végétaux plantés devant eux, mais aucune information n’est donnée sur la création des jardins, sur Yves Saint Laurent, sur le bleu Majorelle, ni sur quoi que ce soit d’autre. Certains se demandent même, un peu honteusement, une fois arrivés devant le mémo- rial, qui est Pierre Bergé... Et on ne peut pas les blâmer, car aucune information n’est lâchée aux touristes curieux d’apprendre, qui ont tout de même déboursé 27 euros pour leur billet d’entrée. Heureusement, chers lecteurs de Fine Fleur, si vous arrivez à présent à la fin de votre lecture, vous avez déjà appris bien des choses concernant l’histoire du fabuleux Jardin Majorelle qui, dernière info pour la route, a fêté son centenaire en 2024 •
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@jardinmajorellemarrakech
rue Yves Saint Laurent
40090 Marrakech, Maroc
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