Blumen, floraisons plurielles
- Stéphanie Thiriet
- il y a 4 jours
- 6 min de lecture
Blumen – les fleurs en allemand – c’est une aventure créative, celle d’Élisa Benchetrit. Depuis 5 ans, elle façonne des bouquets comme les vases qui les accompagnent, et autres objets du quotidien. Elle tend aujourd’hui à développer sa pratique dans le champ de l’art. Nous l’avons rencontrée dans son atelier, à l’ombre des végétaux d’un square parisien.

Après un parcours en arts plastiques, Élisa Benchetrit s’installe à Berlin et y travaille en tant que visual merchandiser, chargée de l’image d’une marque de mode et de ses vitrines. Pour cela, elle fait appel régulièrement à des fleuristes. Elle ressent alors un attrait pour les fleurs, probablement présent depuis longtemps : enfant déjà, elle se disait “quand même, j'aime bien”. Mais il y a ce truc de ne pas oser tout de suite faire le métier qui nous plaît le plus, car les attentes sont un peu trop hautes. De retour à Paris, elle travaille dans la musique et opte finalement pour un CAP à l'École nationale des fleuristes (19e arrondissement), puis apprend la céramique dans un atelier montreuillois.
Elle nous raconte :
J’ai eu une révélation. Je me suis dit : j'ai envie de faire les deux. Et comment lier les deux pratiques dans un même métier ? Donc, j'ai monté Blumen. Dès le début, l’idée était de faire des fleurs et les vases qui allaient avec. Finalement, je fais aussi des objets du quotidien, des assiettes, des théières...
Tu as commencé en 2020, et tu as été frappée de plein fouet par le confinement...
Je me suis demandé : comment me réinventer pendant cette période-là ? J’ai alors créé des bouquets “surprises” que je livrais dans Paris. Je ne travaillais qu’avec des producteurs locaux et ça a bien marché, donc j’ai continué à travailler avec les fleurs locales et de saison. J'ai appris énormément à ce moment-là.À la réouverture des boutiques de fleurs, les gens ont préféré s'y déplacer directement, ce que je comprends. Puis, toutes les activités ont redémarré, notamment l'événementiel et les shootings. Ma pratique a été plus tournée vers les demandes professionnelles.
En plus de faire de l’évènementiel,tu travailles aussi en atelier !
En 2022, j'ai ouvert cet atelier ici, dans le 20e. Et vu que faire deux choses ne me suffisait pas, je donne aussi des cours de céramique.
Qui sont tes clients ?
Le monde de la mode, des galeries, des boîtes de production, des bureaux de presse, pour des dîners, des installations dans des musées, et la Fashion Week qui représente une grosse période. Là, je suis à un moment de ma carrière où les fleurs et la céramique se relient. De plus en plus de clients me demandent des scénographies avec les deux ; comme cette année où les Galeries Lafayette m'ont sollicitée pour une vitrine pour laquelle j'ai fait une structure avec des chaînes et des fleurs en céramique.

Dans tes compositions florales, il y a souvent du mouvement... et parfois un vase associé...
De plus en plus, oui, pour faire le lien entre fleurs et céramique. Pour l'événementiel, je propose de louer mon catalogue. Je pense souvent les compositionsen fonction des contenants, et aussi par rapport aux formes des fleurs, à leurs couleurs, aux associations chromatiques. Parfois, j'aime travailler avec des fleurs monochromes et plus jouer avec leur texture.J'aime bien les construire comme on pourrait faire –je ne sais pas si c'est prétentieux ou si c'est le bon mot – des sculptures. Je ne veux pas créer un bouquet rond classique, mais plutôt que chaque point de vue, lorsque l'on tourne autour du bouquet, donne à voir une autre forme, une autre composition.
Récemment, tu as conçu et façonné une lignede lingerie en céramique, Lingerie Fragile.
Lucille Durez, styliste, m'a proposé de collaborer surun projet de bustiers en céramique. On a moulé l'uneet l'autre nos bustes et on a imaginé plusieurs sortesde soutien-gorge. On a bossé dessus pendant unan, le temps de développer les couleurs, de faire des recherches chromatiques, des tests. J'ai ensuite réaliséet émaillé des pièces, Lucille les a assemblées avec des chaînes et des perles. Ensuite, on a réalisé avec Fiona Torre, une de mes photographes préférées, un shooting dans la nature – on garde le lien avec le végétal aussi.Ici, les différentes identités dans mon travail se croisent. Et je trouve ça vraiment bien de faire évoluer la céramique vers des choses auxquelles on ne s'attend pas.
Comment aborde-t-on ces demandes particulières ?
C'est très instinctif à chaque fois. En général,les clients me contactent, je fais des propositions,des moodboards, avec des photos de fleurs de saison et de bouquets que j'ai créés. Par exemple, la photographe Hélène Tchen m'a demandé de faire une composition florale pour son exposition. Elle m'avait dit : “Moi, les couleurs, mes photos, ça va être ça”, elle avait déjà un moodboard. On a réfléchi ensemble à l'orchidée parce qu'elle est sino-colombienne et que la fleur exotique est importante pour elle et dans ses images. J'ai fait une composition d'orchidées, sur une stèle qui allait habiller l'espace et mettre enavant ses photos.
Tu collabores avec le domaine de l’art, mais aussi de la mode !
Oui, le media Views France m'a contactée pour un atelier de bouquets avec Converse à l’occasion du lancement d'une nouvelle paire de chaussures. Cette année,j'ai développé un vase en forme de shopping bag estampillé Blumen. Donc j’ai dit à Converse : “Si vous voulez, je peux faire un vase shopping bag estampillé Converse dans lequel les personnes invitées composent leur bouquet avant de repartir avec les deux.” Du coup, je l’ai fait, les gens étaient ravis et moi j'ai réussi à lier mes deux pratiques : 24 vases en céramique à faire, ça m'a pris deux mois ; et pour les fleurs j'ai travaillé sur un moodboard avec des fleurs de saison et des couleurs liées aux paires de chaussures. C'était un projet fait sur mesure pour la marque, un projet vraiment cool et qui sort de l’ordinaire.
Et quel serait ton projet rêvé ?
J'en ai plein... Mon projet de rêve serait de faire toute la scénographie pour un film. Ce serait mon goal ultime.

iJe crois savoir qu’une œuvre t’as particulièrement inspirée...
Une de mes œuvres préférées est celle de Judy Chicago, Dinner Party (l’installation artistique, exposée au Brooklyn Museum, présente sous forme d’une table à dîner, l’évolution de l’histoire des femmes. Pour chacune des 39 assiettes, toutes différentes, l’artistea symbolisé l’organe féminin, en s’inspirant de motifs animaliers et floraux. Cumulant les références, Dinner Party est considérée comme une œuvre pionnière de l’art féministe, ndlr). Cette œuvre m'a bouleversée.Je trouve ça trop beau avec le drapé, le fait de construire toute une scénographie... Actuellement, je développe dans mon travail artistique la notion du banquet et de la nourriture en général.En fait, mes thèmes de prédilection seraient la mort, Buffy contre les vampires, et la nourriture. Je travaille sur des projets (dont un livre), avec l’idée de les développer, de les faire exister, qu'il y ait des expositions...
Donc un positionnement plutôt en tant qu’artiste...
Oui, c'est ça ! Ce que j'essaie actuellement, avec Blumen, c'est de le faire évoluer vers... un projet artistique global et pas seulement fleuriste.Après, je n'arrive pas à dire aux gens “je suis artiste”.Je dis que je suis fleuriste et céramiste, et j’ajoute“je fais plein de trucs”.
Alors, quelle fleuriste es-tu ?
Je ne suis pas dans un chemin, un parcours classique,mais j'interagis avec les producteurs, je vais à Rungis régulièrement, je connais tout ce qui concerne la fleur,le cours de la fleur, la bourse des fleurs, les ventes au cadran. Je suis très au fait de toute cette partie-là, des parties production et technique. Le métier a tellement évolué qu’aujourd’hui, être fleuriste signifie beaucoup de choses. Ce n’est pas honteux de dire qu'on est fleuriste, je trouve que le terme est important. C'est un artisanat, un vrai savoir-faire. C'était primordial pour moi de faire un CAP d'ailleurs, pour maitriser vraiment toute la technicité. Je ne regrette pas de l'avoir fait, c'était long, mais il est essentiel de savoir où l'on met les pieds. Il y a aussi toute la logistique avec la céramique : tu dois recycler la terre, gérer ton atelier et faire attention aux contraintes sanitaires (inhalation de poussière, intoxication par le plomb des émaux...., ndlr).
As-tu des fleurs favorites ?
J'adore les dahlias, je ne peux pas m'en passer, il y en a tellement. Le dahlia est la première fleur avec laquelle j'ai travaillé à l'école des fleursites et je me souviens, je n'étais pas bien car c'est une plante très fragile et je faisais que la casser ; si on la tient trop longtemps dans la main, elle chauffe et meurt, ça me faisait peur. Mais je l'aime, j'aime cette fragilité. D'ailleurs, dans es deux pratiques, il y a ces contraintes ; la fragilité et la solidité. Les fleurs sont périssables, c'est du vivant. Et une pièces, après la cuisson, est indestructible. On trouve des céramiques qui datent de l'Egypte antique et qui sont encore là. Il y a une ambivalence entre les deux pratiques qui sont très différentes dans la façon de les aborder et de les traiter.
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Blumen Paris
75019 Paris
© Photographies d'Élisa Benchetrit, Camille Mompach et Fiona Torre.
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